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Digressions
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Considérations sur nos amis On dit souvent qu'on ne tire pas sur une ambulance. Après tout, je ne vois pas pourquoi. Achever les souffrances d'un moribond peut être au fond une action d'une grande humanité, qui demande réflexion et courage. Esprit de contradiction aidant, je vais aller à l'encontre du dicton et me faire quelques ennemis supplémentaires dont les représentants sont de plus en plus nombreux, bien que leurs rangs enregistrent quotidiennement de lourdes pertes : j'ai nommé les vieux. « Vieux » : être humain d'un certain âge ou d'un âge certain, pas forcément canonique car si Frédéric Dard a proclamé la relativité de la connerie, le décret s'applique aussi à la vieillesse. Je connais des nonagénaires et des nonnes à Gégène, à côté desquels certaines Catherinettes passeraient pour Mathusalem. Le vieux tel que décrit ici, a cessé toute activité professionnelle régulière, ce qui lui laisse beaucoup de temps libre. Toutefois, ça ne l'empêche pas de venir me faire chier le samedi avec son caddie même s'il dispose de tous les autres jours de la semaine pour faire ses courses. Tout ça pour un peu de camomille et une boîte de bouillon Kub. Autrefois, les vieux se réunissaient au café du commerce. Evocation nostalgique d'un temps pas si lointain et béni, où appeler un chat un chat, un senior un vieux et Paul-en-ski un pédophile, ne choquait personne. Aujourd'hui, c'est au rayon biscottes de l'hypermarché du coin que se déroule la réunion hebdomadaire des séniles du quartier. Comparé à son ancêtre, le vieux moderne a encore quelques dents mais beaucoup moins d'imagination. Il est volontiers donneur de leçons, à tous propos : l'âge de la retraite, par exemple. Il se dore allègrement le pilulier depuis ses cinquante-cinq ans révolus car il a profité de plans de départs volontaires plus ou moins avantageux et te démontre, avec une admirable force de conviction, que tu vas devoir fournir un petit effort supplémentaire et trimer jusqu'à tes soixante-cinq printemps. C'est un enjeu vital pour le système, paraît-il. Ben voyons… Sauvegardons la planète ! Notre senior est intarissable sur l'impérieuse nécessité d'économiser l'eau et l'énergie, d'utiliser des véhicules propres, de changer nos modes de vie et de consommation. Il t'expliquera avec force détails comment installer un système de récupération des eaux de pluie dans ton jardin. Il oublie simplement qu'il a brûlé durant une bonne partie de sa vie du supercarburant à cinquante centimes le litre, dans des trapanelles qui en réclamaient douze pour faire cent bornes, en polluant plus que la Chine et les USA réunis. Au printemps, il ne détestait pas vidanger sa guimbarde en forêt, pour profiter du mélodieux cui-cui des oiseaux et faire profiter les vers de terre de son huile de vidange. Il se lavait les mains et parfois le zizi à grands jets sous le robinet perpétuellement ouvert et laissait la lumière allumée dans le hall de l'immeuble. Mais voilà : vieillesse et effort de mémoire sont très souvent incompatibles, pour des raisons essentiellement physiologiques. Comme disait Aloïs : « J'ai la mémoire qui flanche » . Seulement mon petit vieux, je ne vois pas pourquoi je devrais assumer, au prix d'efforts et de privations, les conséquences de ton inconséquence. Moi aussi, je veux rester un quart d'heure sous une douche brûlante si j'en ai envie. Moi aussi, je veux rouler dans une grosse bagnole si j'en ai envie. Moi aussi, j'ai peur du noir et je veux de la lumière dans toutes les pièces. Je ne vois pas pourquoi je me priverais de tout ça parce que seul le hasard du calendrier t'a permis de venir te servir avant moi. C'est trop facile ! De toute façon, la planète, c'est comme le reste : du consommable. Quand on aura fini de bousiller la Terre, on n'aura qu'à aller perpétrer le désastre sur une autre planète, il n'y a que l'embarras du choix. On y sera de toute façon obligés : le soleil a prévu de nous tirer sa révérence dans cinq milliards d'années. La grande panne de courant est pour bientôt ! Le vieux a fumé et picolé toute sa vie. Il en avait le droit car il n'était pas sensibilisé comme on peut l'être aujourd'hui par les campagnes de prévention. D'une mauvaise foi absolue, il t'assure avec un aplomb déconcertant que s'il avait été clairement informé sur les ravages provoqués par la conjugaison de l'alcool et la nicotine, il ne se serait jamais adonné à ces deux vices. Ô glorieuse époque malheureusement révolue, où Mâle-beau-rot et Dubo, Dubon, Dubonnet avaient encore le droit de sponsoriser ton infarctus. Commémorons ! Une fois par an, papy aime enfiler son beau costume, (A son âge, on enfile ce qu'on peut…) couvrir ce qui lui reste de cheveux d'un calot, chausser son dentier et ses Mephisto pour rejoindre ses copains au pied d'un monument aux morts, à l'occasion d'un quelconque armistice. D'année en année, le groupe se fait moins nombreux. Le vieux éprouve alors la joie secrète mais intense, liée à l'indicible satisfaction d'avoir survécu, non seulement aux horreurs de la guerre mais aussi et surtout, au cancer de ses conscrits. Comme disait Jules Renard en substance : « Il ne suffit pas d'être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient pas ». La nature fait bien les choses : le vieux est très souvent accompagné d'une vieille. Bêcheuse, acariâtre, acerbe, acide, râleuse, boudeuse : vieille, quoi. Vous conviendrez que « La vieille », fait tout de suite plus péjoratif que « Le vieux ». Mesdames, ne vieillissez pas. Jamais. Cela ne vous réussit pas du tout. Quoi de plus désopilant au fond, que le spectacle pathétique offert par celles d'entre vous refusant coûte que coûte, du temps l'irréparable outrage, à grands coups de Botox ou de bistouri, drapées dans des atours de filles pré pubères ? Certes, vous pourrez me rétorquer qu'envelopper un ventre de sénateur dans un bleu-nuit croisé est aussi un artifice, une tentative de replâtrage désespéré, un cache-misère dont personne n'est dupe. Après tout, vous aurez raison. En Afrique, quand un vieux meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. En France, quand Papi lâche la rampe, ce sont les comptes de la sécurité sociale qui s'équilibrent un peu, tandis qu'un héritier et un notaire de province se frottent les mains. Chacun sa manière, plus ou moins élégante, de considérer l'évènement. Bien sûr, tout ceci est très exagéré… Qu'on se le dise ! |
Vos commentaires
a Digressions impertinentes sur la société, la vie et ses rôtis de veau.
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